La tournure est-elle principalement canadienne-française ? Vraisemblablement pas. Une courte recherche chez Gallica nous indique qu’elle existe aussi en Europe :
HENRIETTE. — Comment ? vous ne voyez pas ? Mettons que les âmes dont M. le curé a la garde représentent mes moutons d’autrefois ; et que les habitants de la commune représentent les oies de Jeannette.
—Révélations d'une servante de curé, LAGUÊPE (Paris, 1877)
— Trois cents bâtards par semaine et rien que pour Paris, c’est à dire cinquante-deux fois trois cents par an, soit quinze mille six cents enfants; n’est-ce pas vraiment effrayant ? — Mettons que nous exagérons et qu’il y ait seulement dix mille de ces pauvres petits êtres pour deux millions d’habitants, cela nous donnerait, si la proportion était égale pour toute la France, cinq mille par million, soit cent quatre-vingt mille pour les trente-six millions d’habitants de notre pays. Là encore, diminuons si vous le voulez, et mettons qu’il n’y en ait que cent mille par an, n’est-ce pas encore un chiffre à faire réfléchir l’esprit le plus égoïste, l’homme le plus blasé, et à le forcer à reconnaître que la recherche de la paternité s’impose.
—Les prolétariennes : lettres ouvertes aux ouvriers. 4e lettre, LAFRANCHISE (Lyon, 1898)
Elle est aussi enregistrée, quoique déclarée familière, au TLFi, à l’article mettre :
− Mettez que, mettons que + prop. Admettons que, supposons que. Ah! Mam'zelle, je n'ai point dit que vous étiez un singe : et je me suis mal exprimé pour cela, mettez que je suis un âne, un cornichon, une oie (Ségur, Mémoires d’un âne, 1860). Mettons que je n'ai rien dit (Becque, Corbeaux, 1882). Mettons que vous soyez pour de bon le capitaine d'un véritable navire (Audiberti, Quoat, 1946).
L’hypothèse d’une forme tirée d’une aphérèse d’admettons que est séduisante, mais demande à être testée. Ma perception personnelle de l’expression m’indique qu’elle pourrait s’apparenter à Posons que, Établissons que, Supposons que, Admettons que, mais qu’elle n’est pas systématiquement remplaçable dans tous les cas par l’ensemble de ces termes, mais je me suis parfois fait piéger par mes a-priori.
Pour tester, donc, je propose de trouver un exemple où Admettons que ne soit pas approprié. Pas facile, mais voici du moins un exemple qui, à défaut d’être entièrement convaincant, sème du moins un doute :
Mais, repris-je, comment, diable, se fait-il que ce soit là précisément ce que je contemplais, et surtout qu’il y ait tant d’analogie entre un peuple et des Girouettes ? Mettons que je n’aie eu qu’une vision ; comment se fait-il que les hommes agissent précisément, comme les Girouettes agissaient ?
—Dissertation sur les girouettes et les marionnettes, par le bonhomme Thomas, concierge logé dans la lanterne du dôme des Invalides, avec des notes, et suivie de ses réflexions sur la manière de lire l’histoire et d’apprécier les conquérans, par Jean-Baptiste GOURIET (1774-1855)
On sent ici qu’en mettant de l’avant une hypothèse, le narrateur n’y croit pas tout à fait, ou plutôt pas du tout. Il le fait bien plutôt par acquit de conscience que par sincère croyance en la réalité de sa supposition. Il l’admet au discours, certes, mais de façon très temporaire, simplement pour la mettre en pièces. Il ressemble davantage en ceci au mathématicien qui introduit les pièces d’une démonstration par l’absurde en utilisant Supposons que. Il n’admet pas vraiment la réalité de ce qu’il présente, car il sait d’avance que tout cela aboutira à une contradiction grossière. Il admet plutôt seulement que l’on puisse invoquer par l’esprit un état du monde pour lequel ce serait possible.
Le second exemple du TLFi pourrait aussi servir :
Mettons que je n’ai rien dit.
Cette utilisation me semble se rapprocher davantage de Convenons que que d’Admettons que.
Ici encore, c’est ouvert à la discussion. Mais le tour me semble au final assez logique par lui-même pour ne pas devoir requérir qu’il doive provenir d’une contraction d’Admettons que.