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Dans le classique de Rostand, Cyrano de Bergerac(texte), il y a une référence à un accent particulier à l'acte IV, scène 4.VII. On se trouve au siège d'Arras et de Guiche a quitté la scène. Entre temps Ragueneau a distribué des vivres à la compagnie des Cadets, affamés, de sorte qu'ils festoient. C'est à ce moment que De Guiche revient, et il est surpris de la mine de certains soldats. Puis Roxanne annonce qu'elle décide de rester, et de Guiche la seconde:

PREMIER CADET: Seriez-vous un Gascon malgré votre guipure ?

ROXANE: Quoi !. . .

DE GUICHE: Je ne quitte pas une femme en danger.

DEUXIÈME CADET (au premier): Dis donc ! Je crois qu'on peut lui donner à manger ! (Toutes les victuailles reparaissent comme par enchantement.)

DE GUICHE (dont les yeux s'allument): Des vivres !

UN TROISIÈME CADET: Il en sort de sous toutes les vestes !

DE GUICHE (se maîtrisant, avec hauteur): Est-ce que vous croyez que je mange vos restes ?

CYRANO (saluant): Vous faites des progrès !

DE GUICHE (fièrement, et à qui échappe sur le dernier mot une légère pointe d'accent): Je vais me battre à jeun !

PREMIER CADET (exultant de joie): A jeung ! Il vient d'avoir l'accent !

DE GUICHE (riant): Moi ?

LE CADET: C'en est un ! (Ils se mettent tous à danser.)

De quel accent s'agit-il précisément et en quoi ça diffère de [(a)ʒ œ ̃] i.e. comment s'inscrit la légère pointe d'accent dans le jeung de Rostand? 1


1. Il serait aussi intéressant de savoir si c'est Gascon à proprement parler, ou Occitan, et à quelle particularité de l'une ou de l'autre réfère-t-on ici par le truchement du mot (à) jeun? Finalement, je me demande accessoirement à quelle région c'est associé... quand Christian arrive chez les cadet, alors que Cyrano va raconter son combat à la porte de Nesle, il demande a Carbon: "Que fait-on quand on trouve Des Méridionaux trop vantards ?. . ." et Carbon de lui répondre: "On leur prouve Qu'on peut être du Nord, et courageux."(acte II, scène 2.VII). Sont-ils tous "du Nord" avec un accent du Sud-Ouest?? Y a-t-il un lien entre cet échange et ce dont il est question ici, à savoir l'accent?

Stéphane Gimenez
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2 Answers2

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Le g final dénote le son ŋ (une consonne occlusive nasale vélaire voisée pour les intimes), qui ressemble à [ng]. En français « standard », on trouve ce son dans les mots en -ing (parking, smoking, …) chez certains locuteurs — on entend aussi [ng] ou [ŋg].

Le [ŋ] en finale dans un mot qui se termine par une voyelle nasale est une caracactéristique de l'accent du Midi, qui correspond en gros à la région où l'on parlait autrefois occitan. C'est en fait plus précisément une caractéristique du sud-ouest, connu en France comme l'accent toulousain (c'est la plus grande ville de la région caractérisée). Cette zone est plus étendue que la Gascogne (qui est en gros la partie de la France au sud-ouest de Toulouse, Toulouse exclue).

Donc jeun se prononce [ʒœ̃] dans le nord de la France, et y est d'ailleurs prononcé de comme [ʒɛ̃] (dans le nord, on ne distingue pas ou peu jeun et brun geint et brin). Dans le sud, les sons [œ̃] et [ɛ̃] sont bien distincts, et on entend une sorte de g à la fin : [ʒœ̃ŋ].

Voir plus généralement :

Gilles 'SO nous est hostile'
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  • Merci pour une réponse complète et les ressources! Je pensais que c'était plus près du mot daim - comme geint finalement mais sans la sorte de g. Je peux concevoir avec ou sans g, je trouve ce dernier plus "aigu", à défaut de savoir exactement comment le décrire. Je n'aurais jamais compris que c'était toulousain. Merci encore! –  Jan 02 '15 at 01:13
  • @Amphiteóth daim et geint ont la même voyelle : [dɛ̃], [ʒɛ̃]. – Gilles 'SO nous est hostile' Jan 02 '15 at 01:14
  • Je me souviens tres bien de tourangeaux (de souche) qui avaient cet accent : Il y a un laping dans le jarding, ou le ing sonnait comme sang et rang en anglais. – Drew Jan 02 '15 at 02:03
  • @Drew Ah bon, des Tourangeaux ? Pourtant, ce n'est pas dans le midi, Tours. C'est même censé être un français « sans accent ». Exemple (avec un enregistrement). Tu es sûr qu'ils n'étaient pas d'une campagne plus au sud ? – Gilles 'SO nous est hostile' Jan 02 '15 at 02:12
  • Oui, je sais bien ce que c'est cense etre. ;-) C'est pourquoi je l'ai dit. C'etait, en particulier, dans les annees 1980s, de la bouche d'un homme, travailleur (~paysan), qui avait ~55 ans, et qui a vecu toute sa vie a Montlouis (tout pres de Tours) - et ses ancetres aussi. Et il n'etait pas le seul. C'etait presque un patois (a mon oreille) - parfois difficile a comprendre. Le tourangeau bourgeois et le tourangeau paysan n'ont peut-etre pas le meme accent. ;-) – Drew Jan 02 '15 at 02:32
  • Oui certes, mais j'entends au final des nuances comme ajun/ajain/ajingue/ajingne/ajaigne. Merci! –  Jan 02 '15 at 07:46
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    "C'est en fait plus précisément une caractéristique du sud-ouest" -> Pas seulement, ce [ŋ] final est aussi présent en Provence. – jlliagre Jan 02 '15 at 10:09
  • N'hésitez pas à produire des réponses supplémentaires; ce serait fort intéressant de vous lire avec plus amples explications! –  Jan 02 '15 at 18:47
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Cette finale palatisée effectivement s'entend dans tout le Midi, y compris le sud-est comme à Marseille par exemple. Mon fils écoutait volontiers un disque des Lettres de mon moulin quand il était tout petit, et il nous demanda ce que voulait dire : « Revieng, revieng, criait la trompe » dans « La chèvre de monsieur Seguin », ne connaissant pas cet accent provençal en Île-de-France …

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