La règle d'accord des adjectifs dans la grammaire dite « traditionnelle » est résumée sur ce site :
Lorsqu'il qualifie plusieurs noms, l'adjectif qualificatif est toujours au pluriel. Il est féminin pluriel si tous les noms qualifiés sont féminins, il est masculin pluriel si au moins un des noms1 est masculin.
Et donc en écrivant :
Bientôt il n’y aura plus que des gens et des choses inoffensifs, pitoyables et désarmés tout autour de notre passé, rien que des erreurs devenues muettes.
Céline respecte la règle en vigueur à son époque. Bien entendu, l'eût-il voulu (et c'est quelqu'un qui maniait la langue à merveille et pesait chaque mot) il aurait pu inverser les noms et écrire :
Bientôt il n’y aura plus que des choses et des gens inoffensifs...
ce qui lui aurait permis au moins d'appliquer l'accord de proximité et ainsi ne pas juxtaposer un nom féminin avec un adjectif au masculin.
Écrire « des gens et des choses inoffensives », qui te semblait naturel puisque tu as posé la question, est aussi un accord de proximité. Ça aurait été probablement aller un peu trop loin pour Céline, et ça le reste pour beaucoup de nos jours encore.
L'accord de proximité était courant au Moyen-Âge, ce n'est qu'au XVIIe siècle que le masculin a commencé à prendre le pas. Sur le sujet on peut se référer à l'article de la linguiste Lucy Michel Penser la primauté du masculin – sémantique du genre grammatical, perspectives synchroniques et diachroniques2 et dont Wikipedia cite cet extrait :
c’est au XVIIe et XVIIIe siècles qu’apparait la formulation de la règle de primauté du masculin, corrélée à « une certaine conception de la domination masculine, présentée comme essentielle, naturelle et indiscutable ». Elle caractérise ainsi l’évolution des accords, notamment l’accord en genre : « L’accord de proximité, intra-linguistique, cède le pas à un accord par défaut au masculin, fondé sur l’idée non-linguistique que la matrice de l’humain est le mâle ».
Depuis deux décennies environ, l'accord dit de « domination masculine », où le masculin l’emporte sur le féminin, est de plus en plus remis en cause par certains linguistes, mais aussi par le grand public. Je cite quelques articles en vrac, et bien sûr cette sélection est très loin d'être exhaustive :
Je quitte le grand public pour terminer par la toute petite lueur qui transparaît dans cet article de Michel Serres, membre de l'Académie française, publié en 2018 sur le site de l'Académie Française, et où il reconnait que « Peut-être serait-il intéressant parfois d’utiliser l’accord selon le nombre ou la proximité ».
1 C'est moi qui souligne.
2 Téléchargeable sur cette page.
3 Donc conseil à ceux qui passent un examen : ne le pratiquez pas.